Chroniques: #1 Les fleurs d’Edo

Hello !

Comme je vous le disais lors de mon dernier article sur Yokohama, j’ai repris  le boulot après ces sympathiques petites vacances. Mon mois de janvier est de nouveau très chargé entre formations multiples et leçons à donner. Ce ne sera définitivement pas le mois le plus agréable de mon séjour au Japon, mais bon, il faut ce qu’il faut !

Alors comme ma vie quotidienne n’est pas ultra passionnante et que surtout ça risque de tourner en rond, je voulais initier quelque chose sur le blog. Une fois par semaine au moins, je ferai un article appelé Chroniques qui reprendra un thème de l’histoire du Japon, parfois court, parfois long, mais toujours sympathique. Je l’espère. Comme vous aviez pas mal apprécié le billet sur la famille Impériale et les quelques mots sur Perry et ses kurofune, je pense que ces articles peuvent être assez cools. Bien sûr, je continuerai les autres articles “vie quotidienne/visites” régulièrement !

Alors c’est parti, on commence avec les Chroniques #1 :

Les Fleurs d’Edo

En voilà un joli titre !

Alors déjà, parlons d’Edo. C’est tout simplement l’ancien nom de Tokyo, qui a donné donc son blaze à une ère historique, comprise entre 1603 et 1868. On en a déjà un peu parlé mais c’est l’époque pendant laquelle le Japon s’est refermé sur lui même dans une politique isolationniste. La structure de cette société ressemblait fort à l’Europe médiévale avec un système féodal fort, dominé par la personnalité du Shogun, le général des armées. L’empereur n’était qu’un personnage presque symbolique, éloigné du pouvoir. Ce régime était appelé Bakufu (littéralement, “régime de la tente”) et a été fondé par le Shogun Tokugawa Ieyasu (1543-1616) en 1603.

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Ieyasu Tokugawa, ou l’air “sévère mais juste.”

Edo est donc pendant plus de deux cents ans la capitale du Japon médiéval et va passer du statut de village de pêcheurs à cité extrêmement peuplée en quelques dizaines d’années.

En effet, le Shogun étant installé à Edo, il va attirer autour de lui les seigneurs féodaux, les Daimyo et les Hatamoto. Ces catégories riches de la population se font construire des demeures autour du château d’Edo, parce que ce serait bête de louper une occasion de cirer les pompes du Shogun… Et ces gens là sont accompagnés d’une horde de samuraï, dont le but est de les protéger et de les servir. Guerriers qu’il faut donc nourrir et fournir en services nombreux et variés,  attirant commerçants et artisans tout autour. En 80 ans, la population va exploser, passant d’environ 400 000 en 1640 à 1 100 000 en 1720. Ce qui pour l’époque est une ville d’une ampleur remarquable. A titre de comparaison, Paris comptait moins de 600 000 habitants en 1760.

Bref tous ces gens vivent ensemble dans une cité immense faite de maisons en bois et papier. La vie quotidienne est agitée, bruyante. Les différentes factions de samuraï s’affrontent parfois, les intrigues font rages à la cour. Mais on parlera de toute ça une autre fois. Ce qui  nous intéresse ce sont ces fameuses “Fleurs d’Edo”.

« les incendies et les disputes sont les fleurs d’Edo »「火事と喧嘩は江戸の華」

Cette expression, encore citée de nos jours résume assez bien l’ambiance de la ville à l’époque. La fréquence des incendies a été d’une importance rare dans la capitale du Japon. Et là vous vous dites, mais on a déjà un peu causé de ça dans l’article sur Noël, avec les Hi no Youjin qui battent toujours le pavé. Certes. J’ai voulu en savoir un peu plus sur cette obsession Japonaise de l’incendie et je vous fais donc profiter de mes découvertes !

Déjà le nombre d’incendies :

En 267 ans, Edo va être ravagée par 49 grands incendies dont le plus meurtrier, en 1657 a fait 100 000 victimes. Rien que ça. Les causes sont généralement toujours les mêmes : La région d’Edo est surpeuplée, les maisons sont en bois, les tremblements de terre déclenchent des incendies et le climat hivernal et printanier est extrêmement sec et encourage donc la propagation des feux. Les incendies criminels étaient également en vogue. La motivation essentielle des incendiaires était le pillage. La plupart étaient des personnes issues de la caste des Hinin (¨non humain¨ et oui la société Japonaise fonctionnait en castes comme la société Hindoue) pauvres et n’ayant rien à perdre… ou au contraire, tout à gagner dans ce qui résulte d’une panique. On allumait les incendies les jours de grand vent et l’on se servait dans les maisons qui n’étaient pas encore menacées mais déjà vidées de leurs occupants. Evidemment à trop jouer avec le feu, certains en sont morts grillés. Les punitions pour le crime d’incendie étaient d’une sévérité exemplaire : la mort. Les incendiaires sont exhibés dans les rues puis brûlés vifs en public. Leurs familles, notamment femmes et enfant sont réduits en esclavage sous contrat ou exilés. Pour les samurai pyromanes, qui ne pouvaient être brûlés (privilège de caste, que voulez vous…) c’était décapitation publique, la tête exhibée sur une pique pendant trois jours et le corps utilisé pour les entraînements à l’épée. Grosse ambiance.

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Ces incendies ont donné naissance aux premiers corps de soldats du feu qui au 17e siècle étaient plutôt des sapeurs. Leurs mission était donc de détruire les bâtiments autour de la zone en feu afin d’en limiter la propagation. On passera des édits pour interdire les toits en bois, qui flambaient à la moindre escarbille et imposer durablement la tuile, qui est plus résistante ( et qui n’était pas si efficace puisque les tuiles des maisons en feu tombaient régulièrement sur les gens qui fuyaient et leur ouvrait le crâne).

Le Grand incendie de Meireki , 明暦の大火.

Connu sous le nom d’Incendie du Furisode c’est le plus meurtrier de l’histoire du Japon. Il a commencé le 2 mars 1657 et a duré 3 jours. Il ravagea presque 70% de la ville et fit environ 107 000 morts. En terme d’ampleur, ça se pose là.

La légende raconte que dans le quartier d’Hongo (juste à côté de chez moi en fait) des moines bouddhistes voulurent se débarrasser d’un Furisode que l’on disait maudit.

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Un furisode, c’est ça : un kimono à longues manches porté par les jeunes femmes non mariées. Or, ce fameux vêtement maudit aurait été à l’origine de la mort de trois jeunes femmes. Le tissu “diabolique” aurait donc été brûlé dans le temple et un sursaut de vent aurait emporté les escarbilles hors de son enceinte. Bim. Incendie. Le machin portait vraiment la poisse.

On possède une carte de la ville où ont été marqués en vert les différents foyers importants :

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Tout ce qui est en bleu/vert est un départ de feu. Cet incendie a également emporté avec lui le donjon du château d’Edo qui était selon des études récentes le plus haut château jamais construit au Japon.

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Château d’Edo, reconstitution numérique.

Les sapeurs ont bien essayé d’intervenir mais le manque d’entrainement, le vent et l’inexpérience les a rendu inutiles. Ce n’est que 6 jours après le début du sinistre que l’on a enfin pu évacuer les corps et les enterrer tous dans des fosses, à cause de leur très grand nombre.

Le Grand incendie de Meireki reste de nos jours la troisième plus grande catastrophe de l’Histoire Japonaise après le Grand Tremblement de terre du Kantô en 1923 et les bombardements du pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

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Grand Incendie de Meireki

Le Grand Incendie de Tenna

Voilà, je souhaitais vous parler de celui ci, car bien que moins meurtrier que le précédent il a donné lieu à l’une des histoires romantiques les plus populaires au Japon.Egalement baptisé l’Incendie de Yaoya Oshichi, il a fait a peu près 3500 morts en 1683. Mais pourquoi porte t’il ce nom ? 

Yaoya est une jeune fille issue d’une famille de commerçants dont la maison de famille est ravagée par l’incendie de Tenna. Comme une grande partie de la population, ils trouvent refuge dans un temple voisin où elle va rencontrer un jeune page, Shōnosuke. Pendant le séjour, ils jouent ensemble et s’attachent. Elle se rend bien vite compte qu’elle est amoureuse du jeune homme.

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Yaoya

Malheureusement ils sont séparés lorsque les familles rentrent chez elles. Un an plus tard, consumée d’amour, Yaoya imagine que si elle allume un incendie aussi meurtrier que le précédent, elle pourra revoir son bien aimé. Elle entreprend alors de mettre le feu mais est rattrapée par les habitants de la ville qui la remettent aux autorités. On a déjà parlé des peines encourues : si le pyromane est âgé de plus de 16 ans, la peine est invariablement la mort par le bûcher. Or Yaoya a tout juste 16 ans. L’histoire dit que le juge, la prenant en pitié, lui aurait demandé “Mais vous avez bien 15 ans, n’est ce pas ?”. Comme, pardonnez moi l’expression mais je ne trouve pas autre chose, elle était un peu gourdasse, notre héroïne a répondu “Non, 16 ans”. Le juge insiste une deuxième fois, lui tendant la perche salvatrice mais Yaoya confirme une deuxième fois son âge et est condamnée au bûcher en 1684.

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Voilà pour ces grands incendies, l’expression “Fleurs d’Edo” venant principalement du fait que les nobles qui échappaient au feu se réfugiaient sur les collines alentour, et en contemplant la ville comparaient les flammes et déflagrations à des fleurs rouges et orangées.

J’espère que ce billet un peu différent vous aura plu, et au plus vite j’espère pour des nouvelles !

 

 


3 thoughts on “Chroniques: #1 Les fleurs d’Edo

  1. Merci pour cet article vraiment très intéressant ! J’avais déjà entendu ce terme mais je n’avais jamais vraiment cherché à en savoir plus, c’est désormais chose faite.

    Maintenant, on essaie de trouver un lien entre les adolescentes un peu maladroites de seize ans et les bûchers parce que j’ai l’impression que c’est une tendance dans les légendes/faits historiques/folklores.

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    1. De rien 😉 C’est vraiment quelque chose que j’ai découvert ici, en parlant avec les gens… Malgré une bonne connaissance de la culture avant, je n’en avais jamais entendu parler… Comme quoi il y a tellement de choses à apprendre.

      Apparemment cette histoire est vraie, toutefois, il se peut qu’elle été amplifiée par la légende et surtout les pièces de Kabuki qui en ont été tirées. Après (et malheureusement) il y a cette image de la femme inconséquente, prête à tout pour l’amour, même à tuer qui est assez commune partout. Le bûcher comme punition est aussi assez graphique d’un point de vue scénique et narratif, certains ne peuvent pas s’empêcher d’aller dans la surenchère de souffrance x)

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